Des mots sur les maux
Souvenirs de guerre
Souvenirs de ma guerre
Préface : écrite en avril 2019 :
Ceci n’est pas un roman. C’est un témoignage. Des souvenirs, des émotions, des ressentis. Sur mon parcours. Sur ma guerre. Contre le cancer.
J’ai appris que j’étais atteinte d’un cancer des ovaires en juin 2018. Juin, pour une enseignante, c’est un mois important : les derniers conseils de classe ; l’effervescence des examens du brevet des collèges ; des élèves mi- fatigués par l’année en cours, mi- excités par les vacances à venir. Juin, c’est le mois où on commence à faire le tri dans les classeurs qui encombrent l’armoire de la salle de classe, les conciliabules entre deux portes avec les collègues pour savoir quels niveaux on va demander pour la rentrée, quels projets on va proposer, quelles… Pour un professeur de Lettres Classiques, c’est savoir combien de 6ème ont coché la case pour faire du Latin à la rentrée, combien de 4ème ont demandé le grec ancien. Vais-je avoir mon quota ? Le stress monte. Un professeur de Lettres Classiques serein en juin, je n’en ai jamais rencontré. C’est apprendre que non seulement le quota est respecté, mais qu’en fait, on a fait carton plein ! Oui, à la rentrée, des tas de petits élèves vont découvrir les fables de Phèdre, vont rêver avec les aventures d’Ulysse et d’Hercule, vont rire avec vous en apprenant…
Ce mois de juin 2018, c’est moi qui apprends : cancer des ovaires. Le couperet tombe : net. Définitif. C’est fini ! Le mois de juin avec les goûters de fin d’année envolé ! Le pot de fin d’année scolaire où on rit des meilleures perles du brevet, où on pleure de voir un collègue qu’on apprécie muté au loin, où on se chamaille gentiment pour savoir quelle série de livres acheter pour les 4ème n’aura pas lieu !
Les mots dégringolent : scanner en urgence, cœlioscopie, prises de sang, anesthésie, laparotomie…
On s’en fiche des armoires, des séries de bouquins, des listes d’élèves, du crédit alloué pour les photocopies ! On pense à sa vie : ceux qu’on aime.
Ma mère ! Mon amoureux ! Mes amis ! Mon chien !
Nos vacances ! Nos promenades ! Nos projets !
Je vais les perdre ! Je vais tout perdre ! Ma vie… Putain, je n’ai que 47 ans !
Et là, deux voies : sombrer dans la peur, laisser la douleur vaincre, se laisser couler. Partir…
Ou l’Autre : combattre ! Se battre ! Se lever et se dire : là voici, ma bataille ! Ma guerre ! Ne pas céder. Parfois, pleurer. Mais, rarement. Etre forte ! Combattre oui, c’est ça ! Je ne serai pas seule ! J’ai eu une armée avec moi : les miens ! Les équipes médicales ! Des inconnus ! Ne jamais être seule. Puiser en soi la force. La puiser dans l’amour de son armée. Etre digne. Ne pas lâcher. Sourire pour rassurer. Crier pour oublier. Lâcher prise. Donner sa confiance totale, complète en ce vieux Professeur aux cheveux blancs et à la voix douce. Croire en son regard qui dit que c’est possible. Que tout n’est pas perdu !
Changer les mots ! Pour vaincre les maux !
Voici le récit de mon combat. Voici mes souvenirs de guerrière. Parce qu’aujourd’hui, j’ai besoin de mettre des mots sur les maux. Parce que peut-être qu’ils aideront d’autres que moi à vaincre. J’ai été une guerrière avec une armée. Peut-être que mes mots deviendront une arme pour d’autres combattants…
« J’avais prévu » (écrit le 02 juin 2018 : nous avons annulé nos vacances en Camargue à l’annonce du cancer)
J’avais prévu de parcourir les étangs cet été, mais…
J’avais prévu de faire le tour de la Maison Carrée, mais…
J’avais prévu de sucer des glaces à Saint-Tropez, mais…
J’avais prévu de t’aimer dans un mas camarguais, mais…
J’avais prévu de prendre mille et un clichés, mais…
J’avais prévu de venir l’écouter jouer, mais…
J’avais prévu des rêves de projets, mais…
Mais
Mais
Mais
Mais
Mais
Mais
Mais
Mais
Il m’attendait
Tapi dans mes ovaires
SALOPERIE DE CANCER
Savoir écouter son corps
« Vous pouvez faire une échographie, si vous voulez vraiment »
Saviez vous que les verbes « écouter » et « ausculter » ont une origine latine commune ? Ils viennent du Latin « auscultare » et ont donné deux formes : l’une savante, celle du médecin qui ausculte le corps, l’examine afin de tirer un diagnostic et l’autre populaire. Le docteur est « celui qui enseigne », car il sait. Les autres sont ceux qui souffrent, qui sont malades. On les nomme les « patients », pas parce qu’ils attendent des heures durant dans une salle d’attente d’un généraliste surchargé, ni parce qu’il faut des semaines, voire des mois pour obtenir un RDV avec un spécialiste ou pour obtenir une date de scanner. Non, parce que ce mot vient du latin « patior » : « celui qui souffre ».
D’un côté, on a donc la Raison médicale, le Savoir savant, la Science pleine de logique et de sang-froid et de l’autre un ressenti, une douleur qui ne sait pas d’où vient le mal. Celui qui agit et celui qui subit. Souvent, vous aurez la chance de rencontrer un médecin qui comprendra et agira afin d’éradiquer la source de votre souffrance. Et parfois…
J’ai beaucoup souffert dans ma vie. D’abord des crises d’acétone provoquées par les oranges et les petits pois. C’est à cela qu’a d’abord pensé ma mère, lorsque ma professeure de mathématiques me ramena du collège, alors que j’étais en 6ème. Vomissements, diarrhées, douleurs de ventre, de dos. Mais, non ! Je venais d’entrer dans le merveilleux univers de la menstruation.
De mes 11 ans à mes 47 ans, chaque mois de ma vie, je fus malade comme une bête. Dans les meilleurs cas, une journée ; dans le pire des cas, deux à trois jours. L’impression d’avoir le ventre labouré par un couteau. Des nausées violentes. Des vomissements à faire pâlir le Vésuve en furie. Des crampes intestinales. Un dos en compote. Le corps glacé. Tout en transpirant. Louise Labé disait de l’amour « J’ai chaud extrême en endurant froidure ». J’ai récité ce vers presque chaque mois, presque comme un mantra. On a tout essayé : différents antalgiques, anti-nauséeux, anti-diarrhéiques… Rien n’y a fait ! Alors, on s’adapte. On calcule. Pour éviter les sorties à cette période là. Sauf que ce serait trop simple ! Il faut aussi que le calendrier ne soit pas régulier.
Alors à 13 ans, on passe par la première visite chez le gynécologue qui prescrit la pilule. Quelques années de répit. Et les diarrhées qui reviennent. Les douleurs. « On arrête la pilule ! »
Jusqu’à l’annonce d’un nouveau coup du sort : un adénome à prolactine.
Les douleurs. Une forte prise de poids. Les seins gonflés.
Inopérable, car trop près du nerf optique. Alors, un cachet : le parlodel. De toute façon, pas 36 solutions à l’époque. L’adénome ne doit pas grossir, sinon c’est la catastrophe : cécité, surdité, hypophyse pouvant être écrasée. Et arrêt définitif de la pilule. Les années galère continuent.
Chaque mois, c’est de nouveau la souffrance. Et, comme si ce n’était pas suffisant, voilà que les douleurs abdominales et intestinales se poursuivent presque tout le mois. Effets secondaires du Parlodel ? Maladie de Crohn ? Syndrome du côlon irritable ? Différentes pistes sont envisagées. En 1989, opération de l’appendicite en urgence. D’après le chirurgien, j’étais à deux doigts de la péritonite. Pourtant, les douleurs n’étaient ni plus faibles, ni plus fortes que d’habitude.
Sept années s’écoulent. Souffrances presque en continu. Je ne me souviens pas d’une journée sans avoir eu mal. En 1996, les douleurs s’aggravent encore. Alors, cette fois, c’est la cœlioscopie. Je me souviens du réveil : le gastro-entérologue entre dans la chambre. Mes parents sont assis près du lit. Pour lui, il n’y a rien. Sauf « une forte inflammation au niveau cœliaque. Et de l’eau. Mais, c’est normal quelques mois après l’appendicectomie ». Je me revois lui dire que ça fait sept ans que j’ai été opérée. Il me regarde, ne répond rien et quitte la chambre.
Mon médecin traitant insiste pour un 2ème avis. Il se souvient du radiologue qui avait émis l’hypothèse de la maladie de Crohn. Alors, on change de spécialiste et je passe un nouvel examen. Là encore : tout va bien ! Le gastro-entérologue est formel : il suffit d’éviter les fromages forts ! Là, je suis abasourdie. A la première consultation, je lui ai expliqué que je ne mange jamais de fromages forts, ni de fruits, ni de légumes, ni de plats en sauce. Parce que c’est synonyme de 48 heures de diarrhées. Ila dû oublier.
Le troisième gastro-entérologue, je l’ai rencontré un an plus tard. Une année quasiment sans pouvoir dormir. Parce que les douleurs sont foudroyantes. Quasi incessantes. Imaginez cette fois une quinzaine de poignards vous lacérant le bas-ventre, les intestins, le nombril, l’appareil génital. Alors, depuis un an, mon généraliste me bourre d’antalgiques. Une boîte de spasfons par jour, plusieurs PARALYOC 500 mg. Piqûre matin et soir. Je suis devenue un être de souffrances. A cette époque, plus question d’aller à la fac. Plus la moindre sortie. Je suis fatiguée de ne pas dormir. Irritable. Anxieuse. Ma seule question : combien de temps la prochaine crise va-t-elle durer ? Le Valium a fait son entrée.
Je suis amère. Aigrie. Je vois des jeunes du quartier s’échanger des drogues et se porter parfaitement bien. Je les hais.
J’ai perdu du poids. C’est à cause du traitement, me dit l’endocrinologue. De même que les douleurs. Il faut supporter, endurer ! Allez voir un homéopathe pour vous aider à supporter le traitement.
Plus personne ne vient me voir. J’ai perdu tous mes amis. Mon père évite mon regard, parce qu’il a du mal à me voir souffrir. Seule ma mère est là. Pour me soutenir. M’empêcher de flancher. Je sais ce qui se dit dans la famille : « c’est dans sa tête. C’est psychologique ». Que des quidams pensent ça, passe encore.
Qu’un gastro-entérologue me claque le même diagnostic me fait péter un câble.
Pourtant, je ne perds pas la raison. Je reste lucide. Calme. Froide. On finira par me dire que c’est un médicament difficile à supporter.
Et l’histoire se répète. 2017 : mon ventre est gonflé. Je suis ballonnée du matin au soir. Voici ce que j’écrivais le 6 mars2017 :
Médecin : « ce n’est rien. Le retour d’âge qui arrive. Le colon irritable. »
2018 février à la gynécologue : « regardez ! A 9h du matin, mon ventre est hyper gonflé ! » / Gynécologue « c’est le stress ».
Mai 2018 : diarrhées, épuisement. Le médecin remplaçant « une journée d’arrêt, c’est suffisant. Vous voulez une échographie pour vous rassurer ? »
Mai 2018 médecin traitant « quoi ? Tu vas faire une échographie ? Mais pourquoi ? » / Moi « Docteur vous avez vu mon ventre ? On dirait que je suis enceinte de 7 mois ! » / Médecin « C’est ton colon irritable. Si ça peut te rassurer »
Juin 2018 : ventre empli d’ascite : on m’enlèvera presque 2 litres d’eau : voilà pourquoi mon ventre était gonflé.
Opération : laparotomie. Cancer des ovaires de stade 3.
QUAND les médecins écouteront-ils nos maux ??????????????
Texte écrit le 02 juillet 2018 : on s’en tape des statistiques !
Texte écrit le 21 septembre 2018 : Bonne nouvelle !
Un beau cadeau de noël (écrit le 19 décembre 2018)
J’ai toujours eu de très beaux cadeaux de noël ! Des romans passionnants, des encyclopédies sur les animaux, une chaîne- hifi pour écouter mes chers classiques, un panda en peluche. Les souvenirs se mélangent dans les paquets froissés du passé.
Pourtant, cette année, j’ai reçu, avec quelques jours d’avance, le plus beau des cadeaux. Des paroles prononcées par ma cancérologue : « votre scanner est bon. Tous les organes sont sains. » Et d’ajouter avec un grand sourire -celui d’un médecin plein d’humanisme – : « vous pouvez être sereine ! L’opération avait été une réussite et la chimio a été efficace. Vous n’avez pas souffert pour rien. Maintenant, les petites « chimio » vont entretenir tout ça. Mais, tout va bien ! »
Lundi, j’ai franchi la double porte qui mène dans le couloir d’oncologie. Les deux infirmières qui me soignent depuis août sont là et me voient. Les larmes coulent. Elles s’affolent aussitôt ! Comment leur malade imperturbable, qui chante pendant ses chimios, qui passe son temps sur les réseaux sociaux sur son téléphone portable durant les 8 heures de traitement, qui fait des jeux de mots pourris, et qui affiche crânement son crâne dégarni, pleure ???
Je les rassure aussitôt : les résultats du scanner sont bons. Grands sourires. Petite chimio numéro 1. Trente minutes au lieu des 8 heures. Je ressemble au métronome que je n’utilise jamais, au grand dam de ma prof de piano. Tic je souris béatement ! Tac je pleure ! Tic Tac !
Personne, à part ceux et celles qui ont traversé ce parcours de guerriers, ne peut comprendre ce soulagement.
Personne ne peut imaginer la désolation que ce petit mot provoque : cancer ! La bête est un volcan qui brûle tout : l’espoir, les rêves, les projets. Et impose aussitôt l’absolue solitude. Celle de celui qui souffre, celui qui a peur, celui qui crève peut-être.
Je reçois des félicitations depuis quelques jours. Qu’ai-je fait ? J’ai combattu certes, gardé un moral d’acier. Parce que je ne voulais pas me laisser aller. J’ai eu des modèles. Des inconnues sur facebook qui m’ont apporté leurs témoignages « J’ai été malade. J’ai survécu. Battez vous ! »
Et un magnifique petit garçon qui, depuis des années, affronte sa maladie (heureusement bénigne mais quand même avec de grosses opérations), subit les interventions chirrgicales, supporte les souffrances et les regards. Sa maman me répète que j’ai été courageuse. Quand je faiblissais, je pensais à son super-héros et je me disais : « bats toi ! » Il a vaincu, le super héros et il a contribué en me donnant du courage.
J’avais mes généraux. Ma mère si courageuse petite soldat ! Sourire impeccable et qui a toujours cru que c’était possible. Mon père avec lequel je me suis vraiment réconciliée.
Mon amoureux auquel je me suis accrochée comme une moule sur un rocher. Il a été mon roc, et j’ai combattu pour continuer à avancer vers la péninsule de notre avenir. Je t’aime mon chéri ! Sa famille qui est devenue la mienne.
Mes amis virtuels et réels.
Ma grande générale : ma chère Carine qui a été ma psy, mon amie, ma confidente des pires moments. Ceux qu’on cache à tous. Par pudeur. Par fierté. Qui m’a soutenue. A travers mes désespoirs, mes colères, mes espoirs.
Mes Valérie. Mon trio de mousquetaires amicales. Leurs épées étaient leur sourire, leur humour, leurs livres pour me distraire, les notes de musique. Les notes de piano comme des baumes qui guérissent.
Ma chère Laurence !
Et tous mes autres soldats. Que je ne nommerai pas. De peur d’en oublier.
La force des infirmières de la chimio. La tranquille, la solide, la sereine. La parole et le geste sûrs qui rassurent. La joyeuse, la danseuse, l’optimiste qui donnent le moral après une longue journée et des litres de produits qui soignent et qui font mal.
Les messages qui encouragent. Qui conseillent quand on a peur, quand on ne sait pas, quand on décroît.
Les livres qui nous transportent au-delà de la maladie. Les notes et Mozart qui m’ont fait m’envoler loin, très loin des douleurs.
Mon plus beau cadeau, ce sont les mots du médecin : « votre scanner est bon. »
Mes plus cadeaux, ce sont mes généraux, mes soldats. Tous ceux qui ont été là. Merci à vous !
« Chauve qui peut ! » (écrit le 18 septembre 2018)
Un ancien président aurait, paraît il, nommé les pauvres, les sans-le-sou, de « sans-dents ». Le mépris est absolu. Si les pauvres n’ont pas de dents, contrairement aux politiques aux dents longues, ce n’est pas pour le plaisir d’avoir une bouche de vieillard digne de figurer dans un tableau de Francisco de Goya, mais bel et bien parce que c’est hors de prix !
Avec ce crabe qui s’est pointé à la porte de mes ovaires, une fois la bête retirée grâce aux carcinologistes réputés, vient le temps de la chimiothérapie. On passera, rapidement, sur les désagréments liés à cette pratique.
L’attente en salle médicale commune où vous aurez le temps de déprimer en apercevant trois pelées, un tondu plus ou moins attaqués par le crustacé enragé et d’imaginer quels ravages risquent de vous tomber dessus dans un avenir plus ou moins proche.
Les 8 heures de perfusion. Les contre-coups les jours suivants. Fatigue extrême. Foie attaqué. Moelle épinière agressée. Douleurs articulaires qui vont vous transformer en nonagénaire arthritique. Muscles tourmentés par de petites piques de hérisson invisible. Côtes écrasées à chaque respiration. Ongles abîmés qui, dans certains cas, peuvent se décoller. Sans oublier le meilleur : les brûlures dans l’abdomen qui rendent le simple effleurement du tissu sur votre peau éminemment lancinant. Tout ceci varie, évidemment, d’un jour à l’autre. Voire d’une personne à l’autre.
Vous vous dites : elle exagère pour nous faire dresser les cheveux sur la tête ! Que nenni ! Mais, il faut bien souffrir pour être en vie. Moche, mais en vie !
Car, une autre retombée succède à la chimio. La chute des cheveux pudiquement appelée « alopécie ». Inutile de vous prendre la tête avec ça : seules 20 % des femmes échappent à ce phénomène. Je ne connais pas le pourcentage des messieurs atteints, et finalement tout le monde s’en fiche. Parce qu’il faut être honnête, des hommes chauves c’est au mieux sexy, au pire insignifiant. Personne ne se retourne dans la rue sur un crâne nu, si tant est qu’il soit viril. C’est une autre affaire, si vous êtes une femme…
Naturellement, vous allez croire jusqu’au bout que vous serez dans le lot des 20 % gagnantes. Pas la peine de vous arracher les cheveux, ils tomberont d’eux-même bien assez vite. C’est comme de jouer au loto : on sait qu’on n’a peu de chances de toucher le pactole, mais on tente quand même. Va alors commencer l’ajout de mixtures étonnantes dans votre shampoing habituel : un peu de spiruline pour les unes, huile de ricin pour d’autres, sans oublier un soupçon d’ aloe vera en friction. Un peu de thé vert ou une soupe d’orties qui feront croire à votre entourage que vous perdez la boule et que vous vous véganisez. Mais, en fait, non ; car vous n’avez qu’un idée en tête : vous gaver de fruits de mer, germes de blé, noix, levure de bière, camembert, volaille, thon, muesli, laitues. Tout est bon, à un cheveu près ! Sauf que ceci restera un régime virtuel, puisque votre estomac ne tolérera rien de tout cela.
Vous allez donc ensuite, lors de votre chimio, supporter, comme je l’ai fait durant trois heures, un casque glacial censé protéger votre précieuse chevelure. On pense à Baudelaire ! O boucles ! Forêt aromatique ! Crinière lourde ! De vos lourdes tresses, hélas, il ne restera rien. Chaque jour, malgré votre métamorphose imaginaire en ourse polaire bravant les icebergs ensevelis sous la glace, la chimie ô l’emportera et vous coiffera au poteau ! Sur les bords duveteux de votre crâne, nulle mèche tordue ! Crâne nu comme une tondue ! Stendhal disait « la chance s’attrape par les cheveux, mais elle est chauve ». Nous voilà donc bien chanceuses !
Vous pourriez croire que je déprime. Non ! Passage obligé pour guérir. Prix à payer pour continuer à vivre, à aimer, à baiser ! Et après tout, si Sinéad O’Connor est sexy en diable, pourquoi ne le seriez-vous pas ? Comme me l’a dit une amie, crois-tu qu’on t’aime pour tes cheveux ? Samson et Dalida peuvent aller se crêper le chignon en d’autres cieux, la force ne réside pas dans votre crinière ! Demandez à Sigourney affrontant fièrement cet alien obsédé par sa toison nue ! Certes, on est dans le science-fiction. Mais, foin des ovnis ! Remontons aux sources du Nil ! Les Égyptiens -les très très anciens, ceux des Pyramides et des Sphinx qui parlent, n’aimaient ni les poils, ni les cheveux. Et la légendaire reine Cléo avait bien la boule à Zéro !
D’autant qu’il existe quelques avantages. En cette période de rentrée, vous n’aurez plus à vous faire de cheveux blancs à l’idée d’accueillir une nuée de poux ! Vous gagnerez un temps précieux sous la douche et n’aurez plus à vous battre contre les nœuds que le vent marin s’amusait à lacer. Économies aussi puisque vous pourrez, dans la foulée, annuler votre forfait chez votre esthéticienne ou votre barbier. Et vous découvrirez, dans la foulée, que la buzz cut est désormais aussi à la mode : Amber Rose, Natalie Portman, Kristen Stewart… Les stars sont nombreuses à craquer pour la coupe androgyne qui fait son grand come-back.
Et surtout, vous pourrez, à volonté, changer de style ! Merci aux perruquiers !
En ces temps de pudeur verbale, on ne dit plus « cancer », mais « carcinome ». Le « cancérologue » se nomme « oncologue » et la perruque s’est envolée au profit de « prothèse capillaire ». Munie de votre ordonnance, vous vous rendez chez un coiffeur spécialiste des alopécies. On vous fera choisir entre cheveux artificiels et naturels. La différence réside dans la qualité du poil. L’artificielle aura une durée de vie de 6 mois, quand la naturelle pourra tenir une année. Le prix ira en conséquence. 650 euros au bas mot pour l’une contre 1 500 pour l’autre. On comprend mieux soudain pourquoi les Romains nommaient cet ornement un « galerus » ! Quelle galère, en effet, pour se payer une telle coiffure, quand on découvre que sécu et mutuelle n’en remboursent que 300. Un proverbe dit qu’un homme sans argent est un loup sans dents. Vous saurez désormais qu’une femme sans argent est une louve sans cheveux. Bon, j’avoue c’est assez capillotracté…
Alors avant de perdre la boule, rendez-vous chez le chapelier ! Fou évidemment !
Texte écrit je ne sais plus exactement la date !
Avoir un cancer, c’est…
Avoir un cancer, c’est voir sa vie s’effondrer. Soudainement. Brutalement.
Parce qu’alors, tout change : tu deviens un.e patient.
Le mot « patient » vient du Latin « Patior » qui signifie « souffrir ».
Souffrir physiquement à cause des opérations, des traitements, des centaines de prises de sang ou piqûres.
Souffrir moralement, tout simplement parce que tu te poses cette question « pourquoi moi ? ».
C’est apprendre à accepter peu à peu l’inacceptable : les douleurs, la peur, l’angoisse qui est toujours tapie. Qu’on cache bien, comme les poussières sous le tapis. Et quand un événement surgit, une phrase, une maladresse, une photo, ça ressort aussi vivement, aussi violemment, aussi douloureusement qu’une chiasse un lendemain de chimio.
Avoir un cancer, c’est choisir comment on va le vivre. Se cacher au fond de son lit en attendant. Ou se battre en continuant à vivre pour ceux qu’on aime et bien sûr pour soi.
C’est continuer de rire, de sortir, de manger, de s’aimer.
On subit le cancer, mais on choisit la façon de le vivre.
Avoir un cancer, c’est aussi devenir dépendant. Des traitements et de leurs effets secondaires. C’est accepter d’être diminuée.
C’est remplir un dossier auprès de la MDPH parce que oui, dans certains cas, on devient handicapé.e. Et non, le handicap, ce n’est pas uniquement pour celles et ceux qui perdent un sens ou sont cloués en fauteuil ou dans un lit.
Après certaines opérations, on peut aussi être handicapé.e. ca ne se voit pas à l’œil nu et on peut se taper des réflexions.
« Pourquoi t’as besoin d’une place de parking ? Tu sais marcher ! Tu fais des KMS certains jours »
« Eh oui. Certains jours. Mais, tu es avec moi quand je suis pliée en deux ? Tu es avec moi, quand je suis malade comme une bête trois ou quatre heures par jour/par nuit, presque chaque jour/chaque nuit ? »
Et, si on arrêtait de juger les gens sur leurs apparences ?
Je me suis pris récemment « Mais, toi, ça va. Tu as une bonne tête ».
Réponse : « oui, ça va. Je ne suis pas encore dans le cercueil. » Mais, si seulement, certain.es pouvaient savoir comme ce genre de phrases peut agacer « certains jours ».
Avoir un cancer, c’est attendre.
Et le pire, c’est l’attente. Le bon vouloir des soignants.
Attendre 3 heures un examen. Attendre 5 heures la poche de chimio qui ne devait durer que 30 minutes.
Aujourd’hui, j’attends pour savoir si demain je fais ou pas une grosse chimio. J’ai envoyé mon bilan sanguin hier à 15h. Depuis, j’attends.
Avoir un cancer, c’est ne jamais savoir.
De savoir si je dois confirmer ou pas mon taxi conventionné (qui si je le préviens trop tard va perdre un trajet), mon infirmière si elle doit venir aujourd’hui ou pas me faire des piqures.
De savoir si oui ou non, je dois faire des courses ou pas. Parce qu’après, ce sera le mode zombie.
De savoir si ce week-end je vais pouvoir assister ou pas à un concert avec la famille. « Je ne sais pas ».
Je ne sais jamais.
Je ne peux rien prévoir.
Je ne sais pas si le cancer est encore là.
Je ne sais pas si je vais avoir fini mes chimios ou pas.
Je ne sais pas si je vais pouvoir prendre un cachet chimio.
Je ne sais pas si mon corps va le supporter ou pas.
Je ne sais pas si je vais pouvoir reprendre le travail ou pas.
Je ne sais pas…. Je ne sais pas… Je ne sais pas…
Alors, oui attendre depuis hier si oui ou non, je fais une chimio demain, vraiment, vraiment j’ai besoin de le savoir. Ce n’est pas un caprice. Ce n’est pas une exigence.
C’est juste parce que j’en ai marre de ne pas savoir.
J’en ai marre de ne pas savoir. Jamais savoir. Toujours dépendre. Toujours attendre.
Pardon si mon texte est long.
Pardon si je me plains.
Pardon mais Facebook sert aussi à ça.
Hurler sa colère.
Hurler son épuisement moral.
Hurler en silence. Hurler avec fracas pour pouvoir continuer à avancer, en « ayant une bonne tête », comprenez « avec le sourire ».
Je suis fatiguée de ne pas savoir.
Je suis fatiguée de ne rien prévoir.
Je suis fatiguée d’être un numéro sur une liste.
D’être réduite à ça : « celle qui doit attendre qu’on vous appelle ».
Il y a sans doute un peu d’injustice dans ce que j’écris. Parce que le personnel soignant est souvent formidable. Et j’ai même beaucoup d’attachement pour certains d’entre eux. Ce n’est pas un cri de colère contre eux.
C’est un cri de colère contre l’attente, contre l’ignorance, contre l’angoisse.
Ne pas savoir entraîne une telle colère, une telle angoisse que parfois, j’ai envie de tout envoyer paître.
Partir seule sur un bateau, monter dans une voiture et partir. Loin.
Oublier tout.
Tout envoyer paître et disparaître.
Sauf que non ! La colère revient, me submerge, m’empêche de céder.
La colère est une émotion si vive, si puissante.
Elle chasse le désespoir et la peur. Elle balaie sur son passage, elle détruit pour faire revenir le sourire, l’espoir et puis autour de moi, mon armée de cœur pour le courage.
Les mots pour chasser les maux.
Ecrire pour ne plus attendre.
Ecrire pour choisir les mots. Choisir et décider.
Etre encore et toujours.
Etre et vivre !
Texte écrit le 31 janvier 2019 : Plaisirs de la vie !
Anti inflammatoires et antibiotiques. Merci à la super dentiste.
Texte écrit le 22 septembre 2020 « Cher foutu cancer, tu m’as appris… »
Texte écrit le 26 octobre 2020 : Patience et ténacité !
Texte écrit le 30 octobre 2020 : confinée !
12h07 : toujours pas eu le produit !
Texte écrit le 15 février 2021 : dysfonctionnements
Texte écrit le 01 juillet 2021 : Le prof est un privilégié, ce n’est pas ce qu’on entend souvent dire ?????
Ecrit après ma sortie d’hôpital après ma 2ème laparotomie
Texte écrit le 6 janvier 2022 : conséquence du covid : « on ne peut pas vous opérer du cancer ! »
Ecrit bien après cet épisode
Texte écrit le 06 mars 2023 : taxol le retour !
Texte écrit le 5 juin 2023 : soulagée !
Texte écrit le 11 mars 2024 : chimio hebdomadaire et 3 nouveaux nodules…
Résultats du tepscan de vendredi et du bilan sanguin de samedi.
Le marqueur de cancer a augmenté. Il ne doit pas dépasser 35. J’étais à 34 la dernière fois avec un nodule au poumon qu’on avait traité avec 3 séances de cyberknife.
Ce nodule a quasiment disparu.
Mais 3 autres ont surgi. Un au poumon droit. Un au sein gauche au même endroit qu’en 2021 qui avait été traité par cyberknife. Et un au sein droit.
Autant dire que ce week-end, j’étais catastrophée par les résultats. Être à une chimio hebdomadaire et encore de tels résultats pfffff !
Mais ma cancérologue est très positive.
Rien n’est alarmant.
Plan d’attaque :
—-On continue les 3 chimios hebdomadaires
—- On va retraiter au cyberknife avec dose plus forte les 3 nodules.
Pour les seins, pas de pose du fiduciel car celui posé en 2021 suffira.
Pour le poumon elle doit vérifier pour savoir mais elle pense qu’il faudra sans doute en poser un.
Donc à nouveau rencontre chirurgien, les scanners et l’hospitalisation 2 jours avec comme c’est au poumon, risque de pneumothorax. Mais bon je n’ai pas eu l’autre jour. On va encore croiser les doigts !
Elle fait passer mon dossier en commission et lundi prochain me dira ce qu’ils ont décidé pour le fiduciel.
Bonne nouvelle :
Je peux continuer à travailler. Alléluia. Ça me fait tellement de bien.
Un grand merci à mes proches, famille et amis, qui me soutiennent dans ce long combat.
Surtout mon chéri Laurent qui me donne tellement de forces. Ma maman. Michel et Patricia qui me soutiennent tant.
Mon père et sa Mimi.
Un grand merci à vous pour vos encouragements !
Mention spéciale à Andréa ma sœur de combat qui me démontre par l’exemple qu’on peut être victorieuse !
Un grand merci à ma cancérologue, et à toute l’équipe de chimio de l’hôpital de ******car les infirmières sont au top.
Grand merci à la coiffeuse bénévole qui est un rayon de soleil.
Évidemment mon médecin traitant formidable d’humanité. Et mes infirmières à domicile.
Grand merci à Fabien taxi agréé qui me conduit depuis 5 ans et demi. Toujours à l’écoute et toujours très professionnel.
N’hésitez pas à faire appel à lui.
Ainsi qu’à ses collègues Nicolas, Fred… qui le secondent.
Les trajets taxi sont toujours très sympa.
Et évidemment je continue à me battre et à rester positive ! Avec mon Potiron d’amour à mes côtés
Texte écrit le 16 mars 2024
Texte écrit le 07 avril 2024 : zénitude
Alors, on en profite !
On a pris la canote et marché de l’autre côté du chenal
Et demain matin première séance de cyberknife. Il y en aura 6 en tout.
D’après les secrétaires, je devais cumuler demain : rayon à 10h45 et chimio à 13h30.
J’ai accepté le cyberknife et pris la décision de reporter la chimio.
Je ne suis pas une machine.
Qui va doucement va loin.
Texte écrit le 03 janvier 2024 : « aucun laboratoire français ne fait encore les analyses » Désespoir !
Il était à 690 en décembre et c’était déjà énorme !
Incroyable ! Ma cancérologue lit dans les esprits. Elle vient de m’appeler et très rassurante et empathique (comme d’habitude).
Elle m’a confirmé gemzar 3 fois par mois.
2 à 3 piqûres pour remonter les globules blancs par semaine : j’ai l’habitude ! Elle m’a expliqué que c’est normal qu’ils soient encore bas car après tant de chimios ma moelle osseuse ne fonctionne plus bien.
Pour le CA 125, elle s’y attendait sans chimio (depuis celle de début novembre) et est certaine que le gemzar va faire baisser tout ça
Elle est confiante.
Elle comprend que je sois stressée et que j’envoie mes questions par mail, que j’ai besoin d’anticiper.
Elle reste positive et me voit lundi.
Je lui ai dit qu’elle avait appelé à point nommé !
Je lui ai dit que je me sentais mieux rien qu’à l’entendre
Elle a rigolé et dit qu’elle savait qu’ils faisaient cet effet là 🤣🤣🤣🤣
Donc, ce lundi 13, je serai 100% prête pour la chimio et je continue le combat !!!!! Encore et toujours !!!!!
Et je vais passer un super week-end en famille demain et en couple dimanche. Parce que la vie continue !
Texte écrit le lundi 13 janvier 2025 : gemzar cycle 1 J1 : c’est reparti !